Le financement de la campagne présidentielle de 1995 d’Edouard Balladur sera au coeur d’un procès pénal, les juges ayant ordonné jeudi le renvoi en correctionnelle de six personnes, dont son ex-homme lige, Nicolas Bazire, actuel dirigeant de LVMH.




                                       Nicolas Bazire                                     


Au terme de plus de trois ans d’investigations internationales, les magistrats Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire ont acquis une conviction : 327 millions d’euros de commissions «indues» et «exorbitantes» sur des contrats d’armement, notamment ceux de fourniture de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie Saoudite (Agosta et Sawari II), ont été versés à un réseau d'«intermédiaires affairistes» qui n’était d'«aucune utilité».



Selon elles, ce «réseau K» (pour «King», allusion au roi saoudien) a été imposé à la fin du processus, alors que tout était réglé. Il avait pour «vocation première», outre l’enrichissement de ses membres, le financement «occulte de politiques français» via des «rétrocommissions» : Edouard Balladur, Premier ministre et candidat malheureux à la présidence sans être adossé à la machine d’un parti, et François Léotard, patron d’un parti en déconfiture financière, le Parti républicain.

Comme l’avait requis le parquet, six personnes sont renvoyées, notamment Nicolas Bazire et Renaud Donnedieu de Vabres, hommes de confiance des deux anciens responsables politiques. L’enquête visait notamment des faits d’abus de bien social. Balladur et Léotard seront absents, mais pourraient devoir s’expliquer devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à enquêter sur les faits commis par des ministres dans l’exercice de leur fonction. Une décision sur ce point est attendue d’ici un mois, selon une source proche du dossier.
Sur le banc des prévenus, prendra aussi place celui qui a incarné le dossier, l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, seul à avoir été placé en détention provisoire et qui affirme que le «réseau K» a permis de débloquer les contrats. Son associé Abdul Rahman el Assir est également renvoyé. Il vit en Suisse et s’est gardé de passer la frontière durant l’enquête.
Quant à Thierry Gaubert, un proche de Nicolas Sarkozy, chargé durant l’enquête par son ex-femme, il est soupçonné d’avoir rapatrié en France du liquide retiré de comptes reliés au «réseau K», 

                             
                                                      Thierry Gaubert

empochant sa commission au passage. La sixième personne renvoyée est l’ex PDG de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCN-I) Dominique Castellan.

10 millions en tee-shirts et gadgets

Après avoir beaucoup tergiversé, Ziad Takieddine a fini par concéder qu’il avait financé la campagne Balladur pour 6,2 millions de francs (moins d’un million d’euros), affirmant avoir été sollicité par Nicolas Bazire via Thierry Gaubert. L’enquête s’est notamment penchée sur les 10,2 millions de francs versés en espèces le 26 avril 1995 sur le compte de campagne de M. Balladur après son élimination.



L’ex-Premier ministre avait invoqué des ventes de gadgets et de tee-shirts en meetings pour expliquer ce versement au Conseil constitutionnel. Dubitatifs, les Sages n’en avaient pas moins validé ses comptes en octobre 1995. S’ils ne l’avaient pas fait, Edouard Balladur aurait été redevable sur ses deniers personnels des frais de campagne.



Les retraits d’espèces en Suisse «devaient nécessairement profiter à ceux qui avaient autorisé la mise en place du réseau El Assir/Takieddine, le ministre de la Défense» François Léotard «et le Premier ministre», Edouard Balladur, résume une source judiciaire.


Dans cette enquête hors-norme, il a fallu comprendre des montages financiers opaques, dont les flux ont été tracés en Irlande, au Liechstenstein et jusqu’aux Iles Vierges britanniques, aux Bahamas ou aux Caïmans.



 «C’est une première grande victoire car à l’origine, le parquet s’était opposé à l’ouverture de ce volet financier», a réagi auprès de l’AFP Me Olivier Morice, avocat de parties civiles.


Au moment où, avec le dossier Bygmalion, un nouveau scandale financier éclabousse la droite, l’affaire Karachi vient rappeler ses luttes fratricides des années 1990. Elu président en 1995, Jacques Chirac avait ordonné en 1996 l’arrêt du versement des commissions au réseau K.














A alors été évoquée l’hypothèse que l’attentat de Karachi, qui a coûté la vie à 15 personnes dont onze ouvriers français construisant des sous-marins, était une mesure de rétorsion ourdie par des responsables pakistanais qui se sont sentis floués.




        Monsieur le juge antiterroriste Marc Trevidic               


 Ce pan du dossier fait l’objet d’une enquête menée par le juge antiterroriste Marc Trevidic.






AFP